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Urgences de nuit

Encore une fois je m’y retrouve et j’y retrouve ce monde qui n’existe nulle part ailleurs.
Monde de nuit, à la frontière entre la douleur, la violence et la patience.

Avec parfois un sourire, comme celui de cette adorable vieille dame un peu replette qui apres avoir salué poliment tout le monde (c’est rare en ces lieux) propose un petit billet au pompier accompagnateur. « non madame, je ne peux pas l’accepter, gardez-le et au moment des calendriers, vous ferez un don », « Et bien considérez que c’est un don ! » petit rire, fin de non recevoir.

Mais les gentilles petites vieilles sont rares. Ici on croise plutôt ce genre d’énergumène : un peu ivre, ensanglanté, qui réclame un verre d’eau, ne tient pas en place et sort tout les quarts d’heure pomper son rouleau de nicotine salvateur, puis rentre s’empare du téléphone sur le guichet et passe ses appels perso…

Et la ronde, le ballet incessant des ambulances et des ambulanciers qui déposent, reprennent, embrassent l’infirmière et lui lancent un « à tout à l’heure ! » chargé de sens.
Mais quel sens !

Il y a aussi les improbables Bidochons, qui arrivent en couple pour visiter un patient, ces deux là n’auraient pas déparé dans les Deschiens ou le reportage le plus caricatural de Groland.
Pourtant ici, ils ne font pas rire, l’inquiétude sur leurs visages éteint instantanément toute velléité de sourire.

Tiens une bimbo sur une chaise roulante, cheville en vrac, agréable à regarder, c’est toujours ça de pris. En plus elle est souriante, ça aussi c’est plutôt rare dans le coin.
Voilà ses parents, genre friqués légèrement hautains, eux aussi caricaturaux dans leur tenue. Lui avec sa coupe de cheveux mi-longs plaqués vers l’arrière, son cuir blanc et ses petits mocassins, elle habillée comme pour un dîner mondain…

Mais va savoir pourquoi, ma sympathie va plutôt aux Bidochons.
L’empathie sans doute…

Ce genre de choc des cultures est surement le lot commun des hôpitaux coincés entre deux banlieues antagonistes. Le concept rive droite/rive gauches unies dans la souffrance.

Il y a les jeunes aussi, ceux qui accompagnent leur pote, accident de football ou accident domestique mais qui discutent calmement dans leur coin, commentent les arrivées ou le films de la veille, que sais-je ?

De nouveaux les pompiers, civière, visage ensanglanté… Je préfère pas savoir.
Accident routier, à priori, trois camions se suivent.

Et le temps passe, passe, passe…
Le temps la seule unité de mesure aux urgences; qui s’étrécit ou s’allonge suivant qu’on soit patient ou visiteur, souffrant ou juste chauffeur, inquiet ou détaché…
L’horloge de Baudelaire règne ici en maîtresse absolue des attentes et des destins.

Ça bouchonne à l’entrée, la nuit vient encore de décharger un plein tombereau de détresse humaine.

1h du mat’ pour moi il est temps de partir, valide parmi les éclopés, anachronisme vivant dans cette sorte de cour des miracles, il est temps de ranger mon iPhone et ma prose morose.

Pourtant la nuit est encore jeune et le cirque des estropiés n’est pas terminé.

Une soirée, pas comme les autres ?
Non une nuit ordinaire aux urgences, je m’incline bien bas devant les acteurs et les actrices de ce théâtre de la vraie vie, Clooney, Dempsey et Laurie peuvent aller se rhabiller, ici on ne joue pas, on sauve des vies.

Retour sur knockin on heaven’s door par les Guns, ça fait du bien aux oreilles, mais on peut dire que les dieux des ondes ont un humour pour le moins décalé ce soir !