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3 pas dans l’univers de Jirô Taniguchi

Enfin un nouveau billet, je sais, je me fais rare et j’avoue sans vergogne que j’en ai un peu honte.
Alors aujourd’hui pour me faire pardonner je vais partager avec vous une découverte très récente pour moi : Jirô Taniguchi. 谷口ジロー

En effet ce week-end j’ai lu trois de ses productions (d’où le titre du billet) et je vais de ce pas vous les faire partager.
L’ordre dans lequel je les aie lu n’est pas important, mais je vais présenter les trois albums dans le même ordre, je trouve que c’est une bonne approche.

Premier pas
Donc j’ai commencé par un album grand format 24×30 de 64 planches paru en 2009 chez Dargaud : Mon Année : Printemps. Initialement prévu en 4 albums la série Mon Année à l’air d’être au point mort et je le regrette, je vais tout de même tenter d’avoir plus de renseignement sur la parution éventuelle du second tome.

Couverture mon année
© Morvan – Taniguchi – Dargaud 2009

De tout ce que j’ai lu, Printemps est l’album le plus européen de Jirô Taniguchi. À plus d’un titre, premièrement il est scénarisé par Jean David Morvan; ensuite il est paginé en sens de lecture à l’européenne et enfin, l’action se passe en Normandie.
Deux mots sur l’histoire : Capucine est une jeune trisomique, légèrement attardée et qui vit à cheval entre son monde où elle côtoie un ami imaginaire et celui bien réel de ses parents.
Seulement la vie réelle n’est pas si simple et l’intégration d’un enfant handicapé dans notre société s’apparente vite à un parcours du combattant lorsqu’il est question de lui faire suivre un cursus scolaire classique.
JD Morvan nous entraine dans un tourbillon de sentiments contradictoire ou l’amour se heurte à la normalité, où les sentiments doivent se confronter à l’usure façon toile émeri de la vie quotidienne.

Extrait mon année
© Morvan – Taniguchi – Dargaud 2009

Extrait mon année
© Morvan – Taniguchi – Dargaud 2009

On oscille entre la compréhension et l’indignation mais ce n’est pas étonnant, les scènes qui sont décrites ici sont bassement humaines et nos petites lâchetés quotidiennes, résonnent en nous quand nous les avons sous les yeux et que nous n’en sommes que spectateurs.
Traité entièrement à l’aquarelle, cet ouvrage prouve s’il en était besoin que Jirô Taniguchi est loin d’être un mangaka classique mais bien un artiste du neuvième art qui maîtrise son outil.
Je suis assez partagé en fait, je vous conseillerai bien de lire cet album, mais la crainte qu’il ne reste sans suite me fais hésiter à vous diriger vers cet achat frustrant.

Petite anecdote : Samedi dernier après l’avoir lu (je rappelle qu’il est sorti en 2009) je me rends à la Fnac Herblay pour trouver le second tome.
Après un rapide tour du rayon BD (qui est loin d’être énorme) et d’infructueuses recherche, je me dirige vers un vendeur déjà accaparé par une demoiselle.
Je patiente puis tends l’oreille… Incroyable ! La jeune fille cherchait exactement le même album que moi !!!
C’est pas un signe qu’il est bon ça !?
Du coup, le pauvre vendeur a fait deux déçus et moi je suis parti avec deux autre Taniguchi sous le bras dont je vais vous parler tout de suite.

Deuxième pas

Le second est aussi une « co-production franco-nippone » et oui Taniguchi n’est pas malchanceux puisque c’est Mœbius en personne qui l’a choisi pour illustrer son scénario !
Pour être tout à fait exact, Jean Annestay est également crédité en tant que co-scénariste, mais son nom est écrit en tout petit, par rapport à Mœbius.

Contrairement à Printemps, cet album est un petit format 20×25 de 284 planches, paginé à la japonaise, si vous êtes totalement déroutés par les mangas publiés en sens de lecture original, passez votre chemin ! :)

Couverture Icare
© Mœbius – Annestay – Taniguchi – Kana 2010

Mais venons en au scénario de Icare puisque tel est son titre :

L’action se déroule dans un Japon futuriste et dictatorial ou les hommes au pieds de verre (issus de fécondation in vitro) essaient de renverser le gouvernement en place, par des actions terroristes violentes.
Durant une de ces vagues d’attentats, un enfants naît dans un hôpital. À peine sorti de la matrice maternelle, le bébé se met à flotter dans les airs naturellement.
Bien entendu un tel prodige intéresse fortement le gouvernement qui imagine tout de suite les retombées martiales possibles si il parvenait à découvrir et à dupliquer le secret du vol pour en faire bénéficier ses troupes.

Planche 37 IcarePlanche 38 Icare
© Mœbius – Annestay – Taniguchi – Kana 2010

Le garçon est donc retiré à sa mère et mis au secret dans un centre qui lui est entièrement dédié, au passage, on le baptise Icare puisque ses capacités lui permette de réaliser naturellement le plus vieux rêve de l’homme : voler !
C’est donc totalement isolé du monde extérieur que Icare grandira et développera son formidables talent.
Objet d’expériences quotidienne, ne connaissant de la vie rien d’autre que ce quotidien où toute trace d’humanité semble absente.

Planche 53 Icare
© Mœbius – Annestay – Taniguchi – Kana 2010

Icare sera-t’il éternellement le jouet docile de l’état ?
Comme dans tout scénario qui se respecte, bien entendu, un grain de sable viendra gripper la machine trop bien huilée du gouvernement.
Un grain de sable prénommé Yukiko, un très joli grain de sable qui plaît énormément à Icare.
Et oui, on peut être un garçon volant et avoir des hormones en parfait état de fonctionnement non ? :)

Planche 280 Icare
© Mœbius – Annestay – Taniguchi – Kana 2010

Pas question pour moi de spolier plus cet album, mais intéressons nous à la forme, le scénario de Mœbius est assez succinct, disons succinct dans cette forme là, nous y reviendrons.
En effet l’édition que j’ai acquise est enrichie d’un carnet de croquis de Taniguchi mais aussi d’un interview de 12 page de Mœbius. Passons rapidement sur le carnet de crayonnés, qui sincèrement n’est pas des plus intéressant (et pourtant vous savez combien je suis friand des sketchbooks !).
Intéressons nous plutôt à l’interview. Entretien que, il va sans le dire, vous ne lisez qu’une fois l’album terminé.
Et là… Si vous partagez mes goûts, vous remerciez/bénissez Jirô Taniguchi.

Mœbius explique au fil de ces quelques pages d’entretien sa vision de l’univers d’Icare, son scénario original aurait couvert de nombreux albums si il était paru tel quel. On peut regretter une telle purge de l’histoire, ça a été mon premier sentiment, mais à la lecture des pistes retenues à l’origine, j’avoue avoir été rassuré des nombreuses amputations commises sur le scénario.
Par exemple, vous avez échappé à une scène plutôt sado-maso avec scatophilie voir même scatophagie… Beuark ! Il reste une scène saphique dans Icare mais relativement soft même si elle n’apporte rien à l’histoire proprement dite. Entre parenthèses, dans cette scène on peut apercevoir des poils pubiens, preuve s’il en est que Taniguchi s’européanise.

À contrario, on peut regretter une fin « en queue de poisson » ne laissant aucune place au développement de l’intrigue sur les « hommes éprouvettes », ce point du scénario manque de profondeur et pourrait presque être passé à la trappe et remplacé par un élément qui n’appelle pas de curiosité particulière de la part du lecteur.
Un état expansionniste et belliciste cherchant juste une nouvelle arme pour assouvir ses fantasmes guerrier par exemple.
Par-contre je ne sais pas comment il aurait été accueilli au Japon, la seconde guerre mondiale et ses cicatrices ne sont pas si loin. Toujours est-il qu’une pirouette scénaristique aurait été la bienvenue pour nous éviter une certaine frustration de lecteur curieux du background de l’histoire.

Dans un ressenti tout à fait personnel, je trouve que l’univers d’Icare est proche de l’univers de Appleseed, sans aucun soupçon de plagiat de ma part étant donné que les histoires sont tout à fait différentes. C’est juste « l’univers » dans lequel se déroule l’action qui offre des similitudes inhérentes au combo « Japon/femme dirigeante/race « inférieure »/opposants au régime ».

Pour conclure, revenons à Jirô Taniguchi, qui nous entraîne dans un album quasiment intégralement noir & blanc où seules trois ou quatre planches sont colorées au tout début de l’ouvrage, dessiné d’un trait résolument typé manga, Icare est à l’opposé de Mon Année.
Opposition logique vu que Icare à été initialement publié au Japon dans un périodique.
Taniguchi à aussi privilégié une ambiance relativement contemplative avec peu de dialogues et beaucoup de grande planches.
Le aficionados du style japonais encore une fois ne seront pas déroutés.

Troisième pas

Passons donc au dernier ouvrage qui je dois l’avoué est mon préféré : Quartier Lointain
Alors on va faire simple, Quartier Lointain est un petit bijou très bien reçu par la critique européenne et récompensé par de nombreux prix (dont « Meilleur scénario » en 2003 à Angoulême) ça vaut ce que ça vaut mais pour une fois que je suis d’accord avec eux, je ne vais pas bouder mon plaisir :)

Commençons par les infos pratiques habituelles, Quartier Lointain est un petit format 18×24 de 406 planches en pagination occidentale aux éditions Casterman. Contrairement aux deux autres productions présentées, c’est un album réalisé à 100% par Jirô Taniguchi.

Couverture de Quartier Lointain
© Jirô Taniguchi 1998/1999 – Casterman 2006

Etonnamment, cet album commence aussi par une demi-douzaine de planches couleur avant de basculer en noir & blanc intégral.
Des trois, c’est à mon avis le plus intimiste, celui où Taniguchi a mis le plus de lui même.
Imaginez un instant qu’un matin vous vous réveilliez en ayant 14 ans, mais dans la peau de vos 14 ans : même endroit, même parents, même école…
Bref un voyage dans le passé mais avec votre vécu d’adulte, vos cicatrices secrètes, vos regrets !
Comment géreriez-vous, ce qui pourrait être une nouvelle chance de tout changer, y compris votre avenir !?

C’est à cet exercice risqué que nous sommes confronté dans Quartier Lointain

Hiroshi Nakahara prend le train pour rentrer chez lui après une soirée trop arrosée, un penchant alcoolique récurrent chez lui. au bout de quelques kilomètres il se rend compte qu’il n’est pas dans le Shinkansen pour Tokyo mais dans le train pour Kurayoshi, sa ville natale, dans laquelle il n’était pas retourné depuis le décès de sa mère quand elle avait 48 ans, l’âge d’Hiroshi aujourd’hui.

Arrivé à la gare, constatant que plusieurs heures le sépare du train qui le ramènerait chez lui, il décide de se rendre sur la tombe de sa mère. Arrivé au temple Genzen, il s’agenouille devant la tombe et prie. Soudain, il se réveille au même endroit, se serait-il endormi ?
Mais bien vite Hiroshi se rends compte que son centre de gravité, son poids, ses sensation ne sont plus les même et qu’il est vêtu d’un costume d’écolier !
C’est là que commence son aventure, notre héros se rends compte bien rapidement et à sa grande stupeur qu’il est revenu à l’été de ses 14 ans.
Été au cours duquel son père était disparu sans laisser de trace.
Qu’elle va donc être sa vie à partir de cet instant ? que va-t’il devenir ? Comment va-t’il gérer l’approche de la date fatidique où son père va disparaître ?
Vous désirez le savoir !?
Courrez donc vous procurer cet album, je n’en dirai pas plus !!
Mais comme j’aime bien vous mettre l’eau à la bouche, et que j’aime aussi que vous vous fassiez votre propre idée, voyez quelques extraits :

L’intérêt d’avoir déjà vécu cette vie : Savoir où les copains planquent leur whisky…
Planche 131 de Quartier Lointain
© Jirô Taniguchi 1998/1999 – Casterman 2006

Pouvoir dire à ceux qu’on aime ce que l’on a gardé 34 ans sur le cœur
Planche 349 de Quartier Lointain
© Jirô Taniguchi 1998/1999 – Casterman 2006

Prendre la mesure de son impuissance
Planche 360 de Quartier Lointain
© Jirô Taniguchi 1998/1999 – Casterman 2006

Au-delà de ça, se posent encore d’autres questions : Hiroshi est-il bloqué dans son corps d’avant sans possibilité de retour à sa vie présente ?
Qu’adviendra-t’il de sa femme et de ses deux filles qu’il a laissé dans un futur qu’il risque de modifier par ses actes présents ?

Et vous, si vous aviez une chance de rejouer votre vie… que feriez vous ?

Moi j’ai adoré Quartier Lointain, à tel point que je pense me procurer très prochainement K et le Sommet des Dieux deux autres productions de Jirô Taniguchi, qui vient de faire une entrée fracassante dans ma bibliothèque !

…Voilà, je viens de mettre un point final à un article commencé le 5 février.
Et oui, après une si longue absence, il fallait au moins un mur de texte pour me faire pardonner n’est-ce pas ? :)